Banques : évitons l’erreur des délocalisations industrielles
Par Christian de BOISSIEU, président du Conseil Scientifique de la Fondation Concorde et Jacques MARCEAU, membre du Conseil Scientifique de la Fondation Concorde.
Après des décennies de délocalisations industrielles pour faire de la France un « grand pays de services », le mouvement s’est enfin retourné à la faveur de la crise sanitaire puis de la guerre en Ukraine. Deux crises qui ont brutalement mis en évidence la perte de notre indépendance pour des besoins essentiels et la priorité que constitue la réindustrialisation de nos territoires.
Ignorant cette désastreuse expérience, le mouvement de consolidation des centres de décision des banques, et plus singulièrement leur centralisation géographique, s’accélère. L’identité régionale s’efface (Scalbert Dupont, Lyonnaise de Banque…) ou est en passe de l’être (Crédit du Nord), notamment sous l’effet de politiques d’investissement pour compte propre déconnectées des territoires d’origine des établissements, ou encore de segmentations de clientèle intra-groupes, accélératrices de déconnexion territoriale.
Cette course au gigantisme et son corollaire la consolidation du secteur bancaire, accueillies favorablement et même promues par certaines autorités au premier rang desquelles la Banque Centrale Européenne ainsi que par une grande partie de l’actionnariat, sont pourtant porteuses de nombreux risques : 1/ Une difficulté supplémentaire pour trouver des financements pour les entreprises des territoires, en particulier les PME 2/ Des services et des offres déconnectés des réalités du terrain 3/ Une dépendance accrue vis-à-vis des grands acteurs extraterritoriaux du logiciel et des services numériques encourageant une perte de souveraineté et une forte exposition aux cyberattaques.
En se coupant de ses racines, la banque court enfin le risque d’apparaître comme une puissance financière extraterritoriale et déshumanisée en laquelle il serait de plus en plus difficile de placer sa confiance. Un « désancrage » d’autant plus dangereux qu’il intervient dans un contexte de captation d’une part sans cesse accrue de la relation avec sa clientèle par les nouveaux acteurs de l’information et du paiement, en particulier les Big Tech.
Pour toutes ces raisons, il est devenu urgent de changer de logiciel pour ne pas exposer encore davantage nos banques aux risques de cette nouvelle doxa de la concentration et nos territoires à une redoutable désertification bancaire.
C’est dans ce contexte que la Commission Banque et Services Financiers de la Fondation Concorde publie un rapport* qui propose, outre un état des lieux très détaillé de la présence et de l’action bancaire au sein des territoires, des mesures concrètes avec l’ambition de « mettre l’innovation bancaire au service de l’économie des territoires ».
Parmi ces propositions, il faut relever :
– La préservation de la richesse que constitue la diversité des modèles bancaires français : profiter de la juxtaposition de grands établissements nationaux à vocation internationale et de banques régionales tournées vers les services de proximité.
– La stimulation de l’irrigation par des banques de proximité des écosystèmes locaux d’innovation ainsi que l’accompagnement des PME et ETI dans leurs investissements de modernisation et transformation.
– L’incitation des banques locales à proposer des produits d’investissement au profit de leur tissu entrepreneurial de proximité.
A la différence de fonds d’investissements apatrides, la banque, et depuis les tout premiers temps de son histoire, joue un rôle moteur dans la prospérité des territoires dans lesquelles elle est implantée. Si la France est jalonnée de petites et moyennes banques, souvent familiales ou coopératives et aux noms évocateurs de leurs identités territoriales, ce n’est ni par goût du pittoresque, ni pour satisfaire au culte du localisme, mais bien parce que ces banques ont toujours été le cœur battant de leurs régions.
(*)https://www.fondationconcorde.com/etudes/linnovation-bancaire-au-service-de-leconomie-des-territoires/
Article original sur Les Echos