Le numérique pour soigner notre système de santé ?
Jacques Marceau, président d’Aromates, expert santé à la Fondation Concorde
Publié le 27 février 2018
Les innovations technologiques dans le domaine médical pourraient être davantage mises à profit pour améliorer l’accès aux soins et la prise en charge, assister et prêter main forte à des personnels hospitaliers au bord du burn-out ou contribuer à optimiser les dépenses de santé et, pourquoi pas, à faire des économies. En un mot, soigner notre système de santé.
Alors même que la population vieillit et qu’explosent les pathologies chroniques, la désertification médicale s’étend, l’assurance maladie continue de creuser son déficit, l’hôpital ne parvient plus à assumer normalement ses missions et les médicaments innovants atteignent des prix astronomiques. C’est ainsi que notre système de santé, pilier de notre modèle social, se trouve aujourd’hui dans un état critique. Une situation qui, alors qu’il y a encore quelques années notre pays s’honorait d’avoir le meilleur système de santé au monde, est devenue selon un récent sondage1 la principale cause de préoccupation des Français.
Alors que pendant ce temps, jamais dans notre histoire les innovations scientifiques et technologiques n’ont été autant porteuses de solutions prometteuses, et souvent déjà opérationnelles, tant dans les domaines de la prévention, du diagnostic, que du soin.
Des technologies utilisées pour soigner les gens, mais qui peuvent aussi être mises à profit pour améliorer l’accès aux soins et la prise en charge, assister et prêter main forte à des personnels hospitaliers au bord du burn-out ou contribuer à optimiser les dépenses de santé et, pourquoi pas, à faire des économies. En un mot, soigner notre système de santé.
Alors qu’elles apportent des solutions simples, efficaces et dont le déploiement est généralement peu onéreux, ces technologies peinaient à se déployer, enfreintes par un cadre juridique devenu inadapté. La Loi de financement de la Sécurité Sociale 20182 leur offre désormais un cadre juridique et financier qui permet notamment de favoriser et sécuriser le développement de la télé-consultation et de la télé-expertise. Une Loi qui prévoit de lourds investissements pour la « transformation numérique des établissements » pour y « développer les services numériques au bénéfice du patient » et « renforcer les liens entre l’hôpital et les professionnels de santé de ville ».
Mais chacun sait que changer la loi ne change pas les mœurs et que la dépense, même quand elle est publique, ne règle pas tout !
Car, précisément, les technologies numériques invitent à un changement radical de pratiques souvent séculaires, bousculent des dogmes considérés comme intangibles, invitent à une redistribution des rôles et à l’abandon d’une médecine en silos, obligent à porter un regard nouveau sur le malade et sa maladie. Cette transformation à laquelle appellent les technologies n’a rien de numérique mais est bien culturelle. Une transformation qui ne pourra pas être imposée par la loi, même si cette dernière prend le visage de protocoles ou de bonnes pratiques. Une transformation qui nécessitera de surcroît un effort supplémentaire de formation à des personnels de santé qui n’ont souvent plus les moyens de gérer autre chose que l’urgence.
Le défi est donc immense, et ne seront suffisants pour le relever, ni la volonté politique, ni l’argent investi. L’échec de la généralisation d’un simple dossier médical informatisé pour tous, décidé en France il y a maintenant plus de dix ans, en est la preuve éclatante. Ce défi, c’est celui de la médecine de demain qui aura à sa disposition des outils puissants et hypersophistiqués qu’elle devra adopter, domestiquer, maîtriser tout en gardant son humanité et rester accessible à tous.
La transformation numérique de notre système de santé est aujourd’hui engagée.
Comme toute transformation elle comporte sa part de risques, mais recèle de formidables opportunités. Mais surtout elle est arrive à point nommé, au moment même où notre système de santé est à bout de souffle, comme l’oiseau de Minerve d’Hegel qui prend son envol au crépuscule.
Jacques Marceau est président d’Aromates et expert santé à la Fondation Concorde.
Article original sur Les Echos