Pourquoi l’économie circulaire annonce-t-elle le retour de l’économie administrée ?

Pourquoi l’économie circulaire annonce-t-elle le retour de l’économie administrée ? 

Jacques Marceau, président d’Aromates
Le 23 avril 2018

Si le XXème siècle a vu la naissance puis la faillite de l’économie administrée soviétique, face à l’urgence environnementale, notre siècle pourrait être celui de l’avènement d’une nouvelle forme de dirigisme économique.

Alors que pendant des siècles les objets et les constructions survivaient aux hommes et étaient transmis de générations en générations, la modernité industrielle, et la société de consommation son corolaire, nous imposent leur mort de notre propre vivant. Un changement de paradigme décrit par Jean Baudrillard comme «  le temps des objets(1) ». Un temps qui nous invite à vivre « à leur rythme et selon leur succession incessante(2) ». Ainsi, ce qui différencie l’objet moderne de l’objet d’avant, c’est qu’il est un déchet en devenir, c’est-à-dire un produit dont la déchéance est prévue, quand elle n’est pas d’ailleurs purement et simplement programmée. Dans une économie dont la performance se mesure en volume de production industrielle et de consommation des ménages, « la boucle ne se boucle pas et nous croulons sous nos objets déchus trop lents à se décomposer(3)».
Un cycle jusqu’à présent économiquement vertueux mais devenu infernal, avènement de la domination de l’homme sur la nature que dorénavant non seulement il exploite mais encore surpasse dans une « illusion productiviste conduisant à croire que l’homme se produit lui-même, tout comme il est censé produire la nature. L’homme avatar de la déité en quelque sorte(4)».  Le résultat de cette course folle s’évalue aujourd’hui en millions de tonnes d’ordures ménagères déversés chaque jour dans des décharges et incinérateurs : rien que pour Paris et sa proche couronne, ce sont 7500 tonnes de déchets qui sont collectées quotidiennement et arrivent devant les centres de traitement gérés par les collectivités territoriales.

De la nécessaire « collectivisation » de la gestion des déchets à la régulation

Car si la consommation est individuelle, la gestion des déchets est, elle, à la charge de la collectivité. Un paradoxe qui trouve sa justification dans la « collectivisation » des conséquences d’une mauvaise gestion des déchets en termes de pollution des sols, des eaux ou de l’air lors de leur dégradation ou de leur combustion sauvage. En effet, et alors que la consommation d’un produit génère la satisfaction d’un besoin ou d’un désir individuel, sa destruction recèle un risque de dommage collectif. Un conflit entre intérêt  individuel et collectif récurrent et qui trouve son illustration dans d’autres problématiques comme celle, à cet égard éloquente, des politiques vaccinales. Un conflit qui est en train de déboucher sur un nouveau domaine de régulation de l’économie par la collectivité, en l’occurrence par l’Etat. C’est en ce sens qu’une grande consultation a été lancée par le gouvernement il y a quelques mois en vue de l’élaboration d’une « Feuille de route de l’économie circulaire » présentée ce lundi par le Premier Ministre et Brune Poirson, secrétaire d’Etat auprès du ministre de la transition écologique et solidaire. Une démarche qui  s’inscrit dans le Plan climat et dont l’ambition est de relever le défi d’une production industrielle plus sobre en ressources, d’une consommation plus responsable luttant contre le gaspillage et l’obsolescence programmée et d’une augmentation significative de nos capacités de recyclage.

Economie circulaire ou planification du cycle de vie des produits ?

C’est ainsi que l’éco-conception, c’est-à-dire la prise en compte de la fin de vie d’un produit  dès le stade de sa conception, devra progressivement devenir la règle. C’est ainsi qu’également, les industriels devront désormais utiliser davantage de matières premières secondaires issues du recyclage, quitte à proposer des produits moins esthétiques et plus chers et seront contraints de porter à la connaissance des consommateurs leur niveau de « réparabilité » et de « recyclabilité ».  Et ce n’est qu’un début car, au delà de l’instauration de ces nouvelles normes, la fiscalité incitative, c’est-à-dire punitive pour ceux qui ne sont pas en conformité avec le cadre, ne tardera pas, de toute évidence, à prospérer sur ce qui est devenu un terrain fertile.

Vers la fin d’un libéralisme ?

Le XXème siècle a vu la naissance puis la faillite de l’économie administrée soviétique dont l’objectif était une répartition égalitaire des richesses. Une tentative dont nous connaissons aujourd’hui l’effrayant bilan, notamment et d’ailleurs paradoxalement, écologique. Incontournable et urgent, est aujourd’hui l’objectif de la collectivité de stopper l’impact négatif des activités humaines sur la nature. C’est le sens de la loi qui se fait jour et qui marquera le grand retour du dirigisme étatique après des années où le monde a confondu le libéralisme économique avec libre pillage des ressources naturelles et tout aussi libre saccage de notre environnement. En renforçant la législation protectrice de notre environnement et en imposant de nouvelles contraintes aux industriels metteurs en marché,  nos économies libérales doivent aujourd’hui se réinventer sur la base de nouveaux équilibres, moyens de production et d’échanges, dans un cadre désormais et toujours davantage régulé, voire administré par la puissance publique. Un défi, autant pour cette dernière que pour l’entreprise et qui nécessitera la construction d’un nouveau modèle qui ressemble déjà à une ligne de crête entre deux abîmes.
Jacques MARCEAU
Président d’Aromates
Fondateur de la Conférence Nationale sur les Déchets Ménagers

1) Jean Baudrillard – La société de consommation – Editions Denoël, 1970
2) Ibid
3) Stéphanie Messal – Percevoir le déchet comme un reste – Conférence à Marseille, 17-18 octobre 2012
4) Michel Maffesoli – Ecosophie – Les éditions du Cerf, 2017

Article original sur Les Echos