Pharmacie : innovez, cherchez ailleurs
Le médicament n’est plus la composante dominante, voire unique, des soins, et encore moins de la santé. Il devient une réponse ciblée à une pathologie et à un contexte donné, réponse qui sera le plus souvent intégrée dans une « solution thérapeutique » adaptée à chaque individu.
Avec un marché estimé à 685 milliards de dollars et une croissance de l’ordre de 6 % (1), mais qui semble s’essouffler en dépit de l’augmentation exponentielle de la demande de produits de santé et de soins dans le monde, le médicament semble en proie à une crise profonde.
Les causes de cette crise sont certainement liées à la pression des organismes payeurs et des autorités réglementaires sur leurs marchés traditionnels, sans oublier le développement des génériques, qui devraient représenter un marché de 60 milliards de dollars en 2007 avec une croissance à deux chiffres (1). Elles sont également, et surtout, liées à la mutation d’une industrie qui, telle que nous la connaissons aujourd’hui, s’est développée sur la base de la coïncidence de deux facteurs, l’un scientifique et l’autre économique : d’un côté, l’essor de la chimie fine avec la découverte de molécules à large spectre et, de l’autre, la possibilité de protéger ces molécules par un brevet afin d’assurer une rente à son créateur.
C’est ainsi qu’est né le mécanisme : recherche financée par la découverte d’une molécule, mise sur le marché et génération d’un nouveau produit qui financera à son tour, grâce aux profits qu’il générera, la recherche en vue de la création de nouveaux produits. C’est ce mécanisme qui a présidé à la naissance des grands médicaments et à la prospérité de ce qui est devenu une industrie à part entière.
C’est également ainsi que la plante, qui était la base de la pharmacopée depuis la nuit des temps, mais qu’il est impossible de breveter, s’est vue délaissée au profit de molécules permettant de développer et de pérenniser le modèle économique du médicament.
Cependant, le cercle vertueux du « médicament protégé » semble aujourd’hui condamné sous la pression de plusieurs facteurs. Le premier est lié à la recherche elle-même. Il est en effet, et sans que cela soit véritablement explicable d’un point de vue scientifique, de plus en plus difficile de découvrir de nouvelles molécules qui pourront donner naissance à des « blockbusters ».
Le deuxième facteur est d’ordre réglementaire : les contraintes entourant l’innovation dans le domaine de la santé humaine sont devenues telles que le risque de se voir refuser la mise sur le marché d’un produit est toujours plus grand et rend donc encore plus aléatoire le retour sur investissement pour l’industriel, alors que les coûts de recherche-développement sont de plus en plus élevés.
Le troisième facteur est bien connu, puisqu’il est lié à la dégradation de la propriété intellectuelle. Non contente d’être réduite dans le temps, avec la possibilité de copier une molécule pour proposer au marché des génériques, la protection d’une formule le devient également dans l’espace. A cet égard, la décision unilatérale récente du Brésil, un an après la Thaïlande, de « casser » le brevet d’un remède antisida de Merck Sharp & Dohme pourrait être le signe de la fin d’une tradition de négociation entre les multinationales de la pharmacie et les États.
Ce constat pose bien évidemment la question de la valeur pour l’entreprise du médicament. Cette valeur, en écoutant les discours des représentants de l’industrie, est dans la recherche, notamment dans les domaines des biotechs, de la génomique ou des nanotechnologies.
Selon eux, le remède à la crise annoncée du médicament est dans l’amplification du système : si l’on injecte plus d’argent dans la recherche, et que l’on restaure un contexte économique et réglementaire favorable, on verra le système se remettre en route au bénéfice de la santé humaine, de la qualité et de l’espérance de vie.
D’autres ont compris que la solution était d’ores et déjà ailleurs et que les contraintes, certes fortes, imposées par les Etats, et notamment par la France, étaient l’arbre qui cachait la forêt… Pour ceux-là, il y a déplacement de la valeur économique, et les profits futurs seront générés par des mécanismes dont les fondamentaux auront changé.
Car le médicament n’est plus la composante dominante, voire unique, des soins, et encore moins de la santé. Il devient une réponse ciblée à une pathologie et à un contexte donné, réponse qui sera le plus souvent intégrée dans une « solution thérapeutique » adaptée à chaque individu.
La valeur économique sera en conséquence davantage associée à la solution qu’à ses composantes, comme cela est par exemple déjà le cas dans l’informatique, où les composants sont banalisés et fabriqués dans des pays à faible coût de main-d’oeuvre, et où les composants logiciels deviennent de simples « briques », adaptées à la construction d’une application sur mesure. Dans l’informatique, la valeur procède donc de l’intégration de ces composants et briques, en vue de l’élaboration d’une solution répondant aux besoins du marché ou d’une entreprise. Ainsi, on peut imaginer que dans le domaine de l’offre de soins, la valeur se déplace vers la mise en relation, ou en réseau, des différentes composantes d’une solution thérapeutique, et ne réside plus uniquement dans la propriété inaliénable de l’une d’entre elles.
Cette nouvelle approche, que l’on pourrait qualifier de systémique, aura sans doute des conséquences lourdes sur la stratégie des laboratoires, qui seront amenés à chercher des partenariats et des alliances avec d’autres producteurs de biens ou de services de santé. Elle pourrait également avoir un effet sur l’approche thérapeutique elle-même : en induisant une vision plus globale de la santé et en restaurant le concept de médecine de terrain, elle replacerait ainsi, tout naturellement et sans qu’il soit besoin de légiférer, le médecin de famille au centre du dispositif.
Article original sur Les Echos