Médicaments innovants : quelle chaine de valeur à l’heure de l’industrie 4.0 ?
Longtemps moteur de la prospérité de l’industrie pharmaceutique, le cycle « recherche-rente-recherche » est dorénavant remis en question tant par la difficulté croissante de mettre de nouveaux médicaments sur le marché que d’en tirer un revenu sur une durée suffisamment longue pour financer la recherche et le développement de nouveaux produits. De plus, et après plusieurs décennies d’un règne sans partage des médicaments à large spectre, les fameux « blockbusters », l’innovation thérapeutique est aujourd’hui principalement concentrée sur des médicaments dont le spectre, et incidemment le marché, ne cessent de se réduire. Un phénomène qui résulte principalement de la tendance à la personnalisation croissante des traitements. Ainsi, l’équation qui consiste à diviser les coûts de recherche et de développement par le nombre de patients éligibles au traitement candidat donne des prix de plus en plus élevés et donc de moins en moins acceptables pour la collectivité.
De surcroît, et toujours à cause du rétrécissement de la population ciblée, ces nouveaux produits sont de plus en plus difficiles à évaluer selon des méthodes traditionnelles devenues inadaptées, notamment parce que basées sur des cohortes de plusieurs milliers d’individus. Cependant, laboratoires et institutions de santé semblent campés sur leurs anciens modèles et n’investissent visiblement pas suffisamment sur l’internet des objets et les « data sciences » pour construire un nouvel écosystème capable à la fois d’encadrer et d’encourager l’innovation thérapeutique. En effet, ces technologies qui ont déjà fait leurs preuves dans de nombreux autres secteurs industriels permettraient de toute évidence de rebattre les cartes en assurant un « suivi en vie réelle », à la main et sous le contrôle du patient.
« L’uberisation » (attendue) du médicament
Il y a aussi, ici ou là, l’expérimentation de nouveaux modèles de fixation des prix comme le « capping », « cost sharing » ou « risk sharing ». Des modèles qui, en introduisant une dimension conditionnelle à la prise en charge des traitements, vont mécaniquement pousser les laboratoires à s’assurer de leur efficience et, encore une fois, être poussés à intervenir dans le suivi des patients en général et dans l’observance des traitements en particulier.
Ainsi, la relation avec le patient en tant que producteur de données, semble bien être la clé de la transformation numérique des laboratoires. Une relation aujourd’hui totalement proscrite* par l’actuel cadre réglementaire.
Alors, dans ce contexte et sans être en capacité de valoriser la relation avec le patient grâce aux données qui en découlent, les laboratoires auront beaucoup de mal à relever le défi de l’industrie 4.0 et risquent de se voir confisquer cette précieuse relation par des plateformes hégémoniques qui, profitant de l’absence de cadre réglementaire régissant leurs activités en France, sauront s’interposer entre le patient et le laboratoire, captant au passage toute la valeur ajoutée provenant des données. Une « ubérisation » à laquelle tout le monde s’attend dans le petit milieu du médicament, mais à laquelle les solutions concrètes tardent à venir…
La France a toujours été un territoire d’innovation dans le domaine de la santé grâce à une recherche performante et des dispositifs publics d’accompagnement et de soutien parmi les meilleurs du monde. En revanche chacun sait que, dans le domaine de la santé encore plus qu’ailleurs, pour que la recherche se transforme en innovation au bénéfice des patients et respectueuse de l’universalité de l’accès aux soins, il faut qu’elle soit accompagnée par d’autres formes d’innovation : sociale, juridique et législative. Et là, notre pays semble, une nouvelle fois, beaucoup moins bien positionné que d’autres.
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* À l’exception de certaines situations liées à la pharmacovigilance.
Article original sur La Tribune