Loi Sapin 2 : « Une directive qui fait courir des risques systémiques à l’édifice financier européen »
Par Jacques Marceau, président d’Aromates relations publiques, membre du conseil scientifique de l’Institut de la souveraineté numérique, et Thibault Verbiest, avocat aux barreaux de Paris et Bruxelles, associé au cabinet De Gaulle Fleurance et Associés.
Progrès pour les uns, menace pour les autres, la métamorphose numérique de notre société n’en est pas moins en marche. Le secteur de la finance connaît, ainsi et lui aussi, sa transformation avec l’arrivée de technologies de rupture et d’acteurs innovants. C’est dans ce contexte que le législateur européen a élaboré une deuxième directive sur les services de paiement, dite DSP2, dont le gouvernement français a annoncé la transposition par voie d’ordonnance dans le projet de loi dit Sapin 2.
Cette directive propose en particulier de créer statut et régimes spécifiques pour les nouveaux entrants qui, sous certaines conditions, auront un droit d’accès aux données bancaires des clients des banques. Une disposition controversée du fait des risques systémiques qu’elle fait courir à l’édifice financier européen.
Ne pas confondre hyper-régulation et protection
C’est sans doute parce que la finance n’est pas une activité comme les autres qu’elle est devenue l’un des secteurs les plus régulés au monde. Cependant, confondre hyper-régulation et protection contre l’irruption de nouveaux acteurs disruptifs serait une grave erreur tant les phénomènes de mutations numériques sont puissants et pénétrants. D’autres secteurs en ont d’ailleurs récemment fait les frais de façon spectaculaire.
Conscientes de ce nouveau défi, les grandes banques se sont lancées dans d’ambitieux programmes de transformation associant politique d’acquisition de start-up et de technologies à une refonte de leurs organisations et de leurs offres. Une transformation paradoxalement entravée par la rigidité de la régulation qui, associée à l’augmentation des obligations prudentielles, ne leur permet pas de lutter à armes égales avec de nouveaux entrants qui, eux, s’en affranchissent.
Faillites de Fintech
A l’origine cantonnées dans les activités de paiement, de plus en plus de start-up investissent peu à peu tous les métiers à valeur ajoutée de la banque : crédit, épargne, conseil de placement, gestion d’actifs et même le « back-office » avec l’irruption des technologies « blockchain », ne laissant aux banques que l’exécution des actions soumise à licence. Une captation de la valeur bientôt encouragée par les dispositions de la DSP2 qui prévoit un statut spécifique de « third party » qui donnera le droit à ces jeunes pousses d’accéder au compte bancaire d’un client consentant pour en récupérer les mouvements ou passer des ordres de transaction.
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Alors que le gouvernement français s’apprête à inscrire cette disposition dans la loi, la place de Londres, pourtant réputée pour sa souplesse réglementaire à l’égard des « fintech » [contraction de finance et de technologie] fait désormais preuve de davantage de circonspection face aux problèmes posés par les faillites de nombre d’entre elles. Car le secteur des technologies financières n’échappe pas plus que les autres aux règles de la sélection naturelle et chacun sait que seule une minorité d’entreprises réussira. Et dans ce cas, l’histoire des start-up nous montre que ces réussites seront, le plus souvent, rachetées à prix d’or par le plus offrant. Et parmi eux, des géants de l’internet qui n’ont jamais caché leurs ambitions dans le secteur des services financiers.
Une chance historique pour la France
Dans ce contexte, l’idéologie n’a pas ici sa place tant les enjeux et les défis technologiques qui leur sont associés sont complexes et susceptibles d’engendrer des répercutions majeures sur nos économies.
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C’est donc à la fois conscient de ne pas laisser passer une chance historique de restaurer l’attractivité de la place de Paris et, dans le même temps, de garantir la parfaite sécurité et traçabilité des transactions, corollaire de cette attractivité, que le législateur français devra définir un cadre adapté à cette nouvelle donne, dans un souci d’équilibre entre régulation, sécurité et innovation.
Article original sur Le Monde