Gazouiller n’est pas communiquer !
Dorénavant, on ne communique plus, « on fait le buzz ».
On n’écrit plus, on produit des contenus.
On n’exprime plus son opinion, on « like ».
On ne pense plus, on « twitte ».
Point de salut pour le communicant qui n’aura pas opéré sa « transition numérique » !
Ces glissements sémantiques sont, non seulement et très certainement, l’expression d’une profonde et rapide évolution en grande partie liée à l’avènement des outils numériques connectés, mais encore, et peut-être surtout, de leurs effets sur la progression de la dictature de l’instant et de la pulsion, dont on ne mesure pas encore tout-à-fait les conséquences sur la vie privée des gens, la stratégie des entreprises ou les politiques publiques. De plus, même si je ne crois pas à la fable de la brutale mutation anthropologique qu’engendre les usages du numérique et en particulier sur nos processus cognitifs, je suis néanmoins certain que l’information en temps réel, savamment profilée par des algorithmes et associée à des moyens de diffusion « multicanal » sont non seulement des facteurs de stress et de dispersion, mais encore favorisent le « prêt à penser », le formatage des esprits et, disons-le, la flemme.
Et voilà revenu le temps du peuple des moutons de Parnurge se ruer sur ces nouveaux outils, victime de la doxa « techno-utopiste » que nous impose les géants de l’internet et autres solutionnistes de la côte ouest des Etats-Unis. « Il faut y être ! ». Comme si la faculté d’être devait désormais se résoudre au présentéisme et à l’activisme sur les réseaux sociaux.
Qui n’a pas vu un grand patron, un leader syndical ou politique faire pathétiquement et publiquement (et pour cause !) son expérience de ces nouveaux médias ? Faut-il, à cet égard, ici rappeler les innombrables bourdes aux conséquences souvent pénibles que nous livre quotidiennement l’actualité ? N’a-t-on pas vu un ancien chef de l’Etat, certes controversé mais sans nul doute excellent communicant, se faire lapider avec les pierres qu’il avait lui-même distribué à ses détracteurs. Pardon, ses « followers » ?
A la fois à l’opposé et à la faveur de cette naïveté technophile galopante, se fait jour un autre courant, sans doute tout aussi mortifère, celui du refus en bloc de l’usage des réseaux sociaux, voire de la prohibition pure et simple de certains d’entre eux. Une tendance qui, au moment où le parlement met la dernière main à une loi sur le renseignement qui légalise la surveillance de tous et à tous les instants, pourrait se révéler gravement pénalisante pour la transformation numérique de notre société et de notre économie, donc hypothéquer encore davantage notre avenir économique.
Pour autant, et de toute évidence, ce n’est pas tant l’outils qui pose problème que le manque de maîtrise de ceux qui les utilisent. Autrement dit, l’outil en lui-même n’est ni bon, ni mauvais. Il se contente d’être et c’est bien la façon dont l’on s’en sert qui est en cause.
Il y a quelques années, quand sont arrivés sur le marché les premiers logiciels de mise en page grand public, donc utilisables quasiment par n’importe qui, beaucoup d’entreprises ont décidé d’en faire l’acquisition et de confier à un stagiaire la mise en page de leurs plaquettes, brochures et autres newsletters. Et en profiter pour remercier leur agence de design des ses services. Il aura fallu quelques années pour qu’ils comprennent que l’outil ne se substituait pas à la compétence, ni le code au talent. Histoire qui se répète avec la photo numérique, la vidéo, ou avec le site internet réalisé par le « fils de ma cousine qui s’y connaît ».
La question n’est donc pas tant celle, et une nouvelle fois, de la littératie des technologies numériques, de l’habilité et des compétences qui s’y rattachent, que celle de l’intelligence que l’on doit y mettre. Et c’est bien là, le métier des professionnels des relations publics.
Car le défi n’est pas « d’être digital » mais d’être professionnel avec le digital, et d’éviter que les technologies ne finissent par assimiler le nombre de « followers » à la popularité, ou celui de « like » à la réputation ou encore celui de « retweets » à la performance.
En un mot, confondre le bruit avec la communication.
Article original sur Les Echos